Le projet Archiver à l’époque du numérique est une initiative du Centre de Recherches Intermédiales sur les arts, les lettres et les techniques (CRIalt) de l’Université de Montréal.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le plus grand effet produit par l’essor des technologies numériques touche moins notre rapport à l’avenir que notre relation au passé. Depuis la fin des années 1980, le développement des usages du numérique, la présence massive de la parole des acteurs de l’histoire dans l’espace public et une attention marquée pour les formes artistiques d’inscription du passé conduisent, en effet, à de nouvelles interprétations du statut des archives. Cette notion se transforme en profondeur, aussi bien sur le plan de sa définition, de ses pratiques que de ses supports.
Confrontés à la mise en ligne généralisée (sites de professionnels, archives institutionnelles, pages de fans), et rarement conceptualisée, de fonds d’archives, les internautes en général et les archivistes en particulier adoptent généralement une posture très critique. L’archive numérique est le plus souvent perçue comme provoquant un sentiment de perte, dont notamment celui du contact avec la matérialité du document original. De plus, la mise en ligne d’artefacts numérisés correspond souvent à une absence de mise en contexte desdits documents (conditions de production et diffusion, etc.). Enfin, il est bien souvent difficile de s’y retrouver dans ce type de sites. L’accessibilité n’est pas souvent placée au centre de la conception de ces interfaces. Les chercheurs en études théâtrales, littéraires et cinématographiques adoptant une approche culturaliste afin d’analyser des processus de création, éprouvent des problèmes similaires quand ils consultent ces nouvelles formes d’archivage.
Le programme de recherche, Archiver à l’époque du numérique, qui a été rendu possible par une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH 2011-2013) et s’est fait en partenariat avec la troupe de théâtre Dora Wasserman (DWYT), le Centre Segal, la Bibliothèque et Archives Canada (BAC), Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BanQ), Bibliothèque nationale de France (BnF), Maison des sciences de l’homme – Paris Nord (MSH), Pacific Centre for Technology and Culture, a eu pour but de dépasser cette position critique, afin d’adopter à la fois une approche plus pratique, en mobilisant les énergies sur une étude de cas, et une réflexion la plus large possible sur les implications pour notre relation au passé et sur les formes de présentation dynamique des données. Cette étude de cas porte sur le fonds exceptionnel de la troupe de théâtre yiddish montréalaise Dora Wasserman, dont les documents d’une des productions théâtrales intitulée Les Sages de Chelm, font l’objet d’une mise en ligne attentive aux formes de présentation et aux métadonnées exploitables. Celui-ci avait préalablement été classé par des archivistes bénévoles, membres de la troupe de Dora Wasserman (voir la vidéo).
Ainsi, concrètement, ce projet a mené – en plus de nombreux séminaires épistémologiques – à concevoir une archive numérique autour d’une pièce intitulée Les sages de Chelm. Cette opération a consisté à numériser environ 450 artéfacts et les documenter via une base de (méta)données sur une interface documentaire (ICA-ATOM). Les notices relatives à ces documents peuvent être consultées directement sur ce site. Ces notices sont classées par année de production de la pièce et par type de document. Vous pouvez accéder à cette architecture via une représentation graphique et une frise chronologique. Ce classement reprend celui proposé par les archivistes bénévoles (DWYT).
En plus de cela, des entretiens sonores et filmés avec les membres de la troupe ont été menés. Ces sources orales ont, par la suite, été montées pour constituer des capsules audiovisuelles et des capsules sonores. Enfin, le processus de création de l’archive a lui-même été patiemment documenté, depuis les premières réflexions, jusqu’à la création des notices en passant par la numérisation, le tournage des entretiens et leur montage. Vous pouvez accéder à ces informations via une cartographie temporelle. Le principe a été de constituer non seulement des données numérisées, mais aussi des métadonnées les plus détaillées possibles pour permettre leur interprétation et des “métadonnées vivantes” par la documentation du processus d’archivage, que ce soit celui original des bénévoles de la troupe de théâtre ou celui que nous avons nous-même mis en place.
L’ensemble de ces données et métadonnées a été mis en ligne en collaboration avec le CRILCQ pour constituer le site que vous consultez actuellement. Sans a priori technophile ou technophobe, l’objectif a été de produire une archive en étant conscient des effets de sens produits par l’articulation de différents types de productions culturelles sur une même plateforme. Nous avons porté une attention particulière aux relations entre ces différents éléments, suivant, en cela, les principes à la base d’une démarche intermédiale (écouter la conférence ci-dessous).
Bibliographie indicative :
Albera, François et Maria Tortajada (dir.). 2011. Ciné-dispositif. Lausanne: L’Âge d’homme.
Besson, Rémy, 2012. « De la numérisation d’un artefact à la constitution d’une structure informationnelle » Dans Culture Visuelle.
Despoix, Philippe. 2005. « Questions et hypothèses à partir des systèmes d’écritures : remédiation ou plurimédialité ? » Dans Intermédialités (6): 95–106.
Gaudreault, André, and Philippe Marion. 2005. “Transécriture and Narrative Mediatics: The Stakes of Intermediality.” Dans A Companion to Literature and Film, Alessandra Raengo and Robert Stam (ed.). 58–71. Malden / Oxford: Blackwell Publishing.
Larrue, Jean-Marc. 2008. « Théâtre et intermédialité » Dans Intermédialités (12) : 13-29.
_. 1996. Le Théâtre yiddish à Montréal. Montréal : Cahiers de théâtre Jeu.
Mariniello, Silvestra. 2010. « L’intermédialité : un concept polymorphe ». Dans Intermedia. Études en intermédialité, Célia Vieira and Rio Novo (ed.). 11–29. Paris : L’Harmattan.
Méchoulan, Éric (dir.). 2003. « Naître ». Intermédialités(1).
Peccatte, Patrick. 2012. « Notes sur la structure informationnelle de la photographie ». Dans Culture Visuelle.
Villeneuve, Johanne. 2007. « L’oralité, l’intermédialité et la question de l’appareil. De la technique et des enchantements ». Dans Appareil et Intermédialité, Jean-Louis Déotte, Marion Froger et Silvestra Mariniello (dir.). Paris: L’Harmattan. 207–222.
Cette liste est intentionnellement limitée à dix titres, pour une recherche plus ample vous pouvez consulter la bibliographie sur l’intermédialité proposée par le CRIalt.